vendredi 11 mars 2011

A l’origine... la Déesse Mère.

Interview de Françoise Gange.

Soleil-levant a rencontré pour vous Françoise Gange, qui depuis trente ans oeuvre à réhabiliter l’Eternel Féminin, enfoui dans nos inconscients et que l’avènement d’une ère nouvelle réveille incontestablement.
Propos recueillis par Marjolaine Watelle

Les mythes qui ont construit nos sociétés, et notamment ceux du pays de Sumer, les plus anciens décryptés à ce jour, montrent comment la culture patriarcale s’est imposée (à partir des environs de - 2800 avant JC) en combattant puis en effaçant le culte immémorial de la Déesse Mère. C’est le cas notamment de l’Epopée de Gilgamesh.

Françoise, pourquoi êtes-vous allée chercher dans le mythe de Sumer les valeurs du féminin divin...

C’est le personnage de Lilith qui m’a mise en chemin vers la découverte de la première culture structurée autour du divin féminin ; personnage qui hante les Ecritures bibliques ainsi que la Kabbale, le Zohar en particulier, et que met en scène une autre Kabbaliste intitulée « L’alphabet de Ben Syrah ». On peut y lire qu’avant Ève, la première compagne d’Adam s’appelait Lilith et que celle-ci, constatant qu’Adam voulait la dominer (l’Alphabet de Ben Sirah précise, dans une image très symbolique, qu’Adam en faisant l’amour ne concevait que la position « dessus », Lilith ayant la position « dessous ») s’est rebellée contre lui. Le mythe dit que refusant de se soumettre à lui, elle a demandé des ailes pour s’envoler du paradis, ce qui lui a été accordé par des Anges. Exit donc Lilith du paradis où Adam demeure seul. Il pleure en direction du Tout Puissant, se lamentant du départ de la femme rebelle et demandant une autre compagne. Le Dieu Père l’exauce, modelant pour lui Eve, qu’il tire de l’une de ses côtes et qui symbolise la femme dépendante et inférieure à l’homme. Yahvé étant d’accord avec Adam quant à son statut de dominant. Le mythe raconte que Lilith, de son côté, rencontre Samaël Satan (autre nom de Lucifer, ce qui signifie le Porteur de lumière) et que, d’accord avec elle quant au statut égalitaire de l’homme et de la femme, ils vécurent ensemble dans la vallée de Gehenne. La vallée de Gehenne est l’enfer. Ce qui signifie que les deux personnages, maudits de l’ordre patriarcal (ordre dominé par la figure du Dieu Père), y sont ensevelis dans les Ténèbres, loin de la lumière de vie, car ils symbolisent à eux deux ce que le patriarcat rejette et a voulu effacer : une complémentarité masculine féminine et une parfaite égalité : ni dominant, ni dominé. Je suis donc partie de l’étude de la Genèse biblique, et de ce personnage occulté de Lilith, pour découvrir qu’à Babylone et avant, à Sumer, bien avant l’émergence du Dieu Père, il avait existé un système culturel où le féminin avait un visage très différent de celui qu’il a dans l’ordre patriarcal : avec des femmes « sauvages », libres et indépendantes, comme Lilith. C’est à travers les mythes de Sumer (pays correspondant en gros à l’Irak) que j’ai pu comprendre comment l’humanité était passée d’une polarité féminine sacrée à la conception du divin mâle qui a entraîné la domination de l’homme. C’est là qu’on découvre l’origine de cette Chute, au sens métaphysique, du féminin qui de sacralisé va être démonisé dans la « deuxième histoire ».

Qu’avez vous découvert ?

Les mythes de Sumer sont les plus anciens écrits décryptés à ce jour, et c’est là que commence l’histoire écrite. On y découvre des sociétés gravitant autour d’un divin féminin, et autour de valeurs radicalement différentes de celles qui fondent l’ordre patriarcal : rapports non hiérarchiques, valeurs nourricières et de partage, sans aucune verticalité, ce sont des valeurs d’échange, dans une ambiance de respect et de confraternité entre les différents éléments qui constituent le vivant, la nature y est respectée et vénérée comme étant la création de la Mère, aimante et nourricière. On peut voir à travers les mythes, tant ceux de Sumer que ceux de l’Egypte ancienne pré-dynastique, que cette culture de la Déesse favorise les arts, la musique, la danse, qu’elle vénère la beauté.... Les temples sont le théâtre de la hiérogamie : on y pratique l’union sacrée du principe féminin et masculin. La notion de péché n’existe pas. On magnifie la vie sous toutes ses formes et d’abord sous celle de l’union sacrée des deux principes vitaux. Ces temples ont le plus souvent la forme de la ziggurat, ou temple à degrés, plantés d’arbres sur chacun des degrés, pour figurer la montagne primordiale, le sommet de la ziggurat étant symboliquement le point sacré, où le ciel et la terre se rencontrent. La Terre est vue comme le corps de la Grande Mère. Terre où on ensevelit les morts en position fœtale pour qu’ils renaissent vers une nouvelle vie. Ce symbolisme de la terre, matrice des renaissances, étant on le voit profondément différent, quant à son sens, de la pratique de l’enterrement tel que nous le connaissons, dans un système où la terre a été assimilée à la poussière : « Tu n’es que poussière et tu retourneras à la poussière »... Quand on voyage dans les îles de la Méditerranée, sur les traces de la Déesse à Malte, Chypre ou en Crète... on peut encore y voir les vestiges des grands temples de la Déesse, de forme ronde, trilobée et vus d’avion, certains (à Malte en particulier) ont la forme des Vénus paléolithiques, aux hanches gonflées, généreuses.... On a retrouvé en Anatolie (Turquie), des salles souterraines dédiées à l’ accouchement sacré : les murs y sont peints en rouge et portent des reliefs représentant la Déesse Mère qui met au monde son fils, symbolisé sous les traits d’un petit taureau. A cette époque, tous les hommes sont les « fils de la Mère », l’homme est associé à la douceur, au plaisir, goûtant notamment ceux de la chair. Il participe à la vie du temple, y est vraisemblablement danseur, musicien. La culture de la Déesse n’étant étayée sur aucune domination et sur le respect de la nature, le temps de l’homme n’est accaparé par aucun des « grands travaux » qui plus tard, en patriarcat, exténueront le fils, le frère, comme le mari ainsi que le dit l’épopée de Gilgamesh. On sait que la femme est agricultrice, potière, musicienne, danseuse...La grande Prêtresse gère l’économie, les affaires de la cité, entourée d’un conseil d’anciens. Le mariage patriarcal (dominant/dominée) n’existe pas encore et on a tout lieu de croire que le couple est libre, non nécessairement stable. Chez les « Na » de Chine, survivance des temps où la société était matrilinéaire, l’homme et la femme pratiquent une union libre et « furtive », c’est à dire que l’homme rend visite à la femme mais ne séjourne pas au foyer de celle-ci. Il est quant à lui rattaché au foyer de sa mère et de ses sœurs, où il tient un rôle important auprès des enfants de celles-ci. Cette organisation où c’est, non le père mais l’oncle maternel qui est important pour les enfants, se retrouve aussi en Afrique noire. Le père géniteur n’est pas responsable de ses enfants, en tous cas pas nécessairement : il peut s’en occuper, payer pour eux un certain nombre de choses, mais il n’y est pas obligé. C’est vis à vis de ses neveux et nièces qu’il joue le rôle important de modèle masculin. Modèle qui ici encore semble plutôt de douceur, de tendresse que d’autorité. Cette répartition des tâches, très différente de notre modèle actuel, apparaît harmonieuse, étrangère aux notions patriarcales de verticalité, de hiérarchie et de contrôle.

Qui est Gilgamesh ?

Gilgamesh est l’un des premiers héros qui va ensevelir la culture de la Déesse car il amène les valeurs de l’homme conquérant, c’est à dire guerrier. Son époque se situe vers -2800 avant notre ère, à l’Age du Bronze. Après cette date, le culte de la Déesse ne s’est arrêté partout , ni même à Sumer car les peuples de la Déesse ont résisté longtemps à la montée de la nouvelle idéologie dont les valeurs leur étaient incompréhensibles et inacceptables, mais cette période signe les débuts de l’ensevelissement de la Déesse. L’épopée de Gilgamesh se situe à Uruk, l’une des cités-états qui composaient le territoire de Sumer, structurée autour de la Déesse et de ses Grandes Prêtresses, cité que le héros vient conquérir avec une troupe armée, détruisant les temples, incendiant champs et habitations, soumettant les habitants par une attaque en règle qui se révèle comme étant l’une des toutes premières guerres de l’histoire. Ce qui est très important pour la compréhension de l’histoire, est qu’on s’aperçoit bien vite que chaque mythe, de Sumer (mais aussi grecs, Egyptiens, Indiens....) présentent plusieurs strates superposées. La première strate, la plus ancienne, est l’œuvre des partisans de la Déesse et selon différents indices, elle est l’œuvre des Grandes Prêtresses, qui étaient des lettrées, l’une d’elle, dont l’histoire a conservé le nom, Nisaba, est appelée « l’experte en tablettes », terme qui fait référence au support écrit des mythes : des tablettes d’argile sur lesquelles on écrivait avec un calame quand l’argile était encore humide et tendre. La deuxième strate, postérieure, est patriarcale et chante la louange des héros et des Dieux qui sont venus renverser et remplacer la Déesse. Souvent, il existe d’autres strates encore, de plus en plus patriarcales au fil des époques. Les trames patriarcales ont généralement conservé les personnages et toute la symbolique de la strate originelle, mais en lui donnant un tout autre sens, de telle façon que ce qui était magnifié dans la première strate, s’y trouve démonisé dans la deuxième : les héros et les Dieux conquérants apparaissant par exemple comme les Créateurs et les Sauveurs du monde, tandis que la Déesse, ses filles et ses fils y tiennent le rôle de démons et de monstres. C’est ainsi que Gilgamesh qui est présenté dans les strates patriarcales, comme un conquérant magnifique, brave, grand et fort, un mâle accompli au courage sans faille, a en fait une autre facette. A certains endroits de la version sumérienne (première version, la plus ancienne) du mythe, une autre vérité se fait jour : on apprend tout à coup, que « Gilgamesh est un violent et un rustre, un soudard cruel qui viole toutes les filles d’Uruk, ou encore qu’il enlève les fils à leur mère, et qu’il épuise les hommes de la ville vaincue, dans des travaux exténuants... ». On est ici en présence de deux versions opposées du même personnage : l’une a été rédigée par les alliés du héros, c’est à dire les conquérants qui ont vaincus la ville d’Uruk ,et l’autre est racontée par les « fils et les filles de la Déesse », les vaincus, qui voient en Gilgamesh un usurpateur, un pilleur et un violeur. Gilgamesh, fondateur de l’ordre patriarcal et qui inspirera directement le personnage grec d’Héraclès, est l’ancêtre de notre culture violente, tournée vers la conquête sans fin des biens matériels et la désacralisation du monde, désacralisation du féminin et de l’union d’amour entre les deux grands principes masculin et féminin... Plus tard arriveront dans une suite malheureusement « logique », la violence généralisée, le non respect des équilibres naturels, la pollution, l‘épuisement des ressources de la terre, les armes à destruction massive...

Que peut on faire aujourd’hui ?

Il nous faut retrouver le « grand féminin », en chacun de nous, homme ou femme, le ré-introduire à part égale à côté d’un pôle masculin non plus conçu comme dominateur et dressé au contrôle, à la hiérarchie et à la seule « rentabilité », mais généreux, responsable et « ami du féminin », loin des peurs, des méfiances et des jalousies que la société responsable de la séparation entre les deux polarités, nous a inculquée.. Il nous faut réconcilier de toute urgence les deux moitiés de l’humain, tâche vitale, et pour cela que la femme tourne le dos aux pauvres rôles de prostituée/servante ou d’hommasse « sans état d’âme », selon une expression très affectionnée aujourd’hui, et que l’homme retrouve sa générosité, sa force morale, sa vitalité au service de la vie et non plus au service de l’avoir, de la compétition et de la guerre qui en découle.Un certain nombre de mouvements aujourd’hui, essayent de refaire ré-emerger ce monde de la vie, du respect, du partage, de la responsabilité, de la réunion corps/esprit, féminin/masculin, c’est à dire finalement de la joie d’exister ensemble. L’écologie y participe, ainsi qu’un certain nombre d’associations et de courants d’idées qui tentent de casser l’idéologie de la compétition et du seul profit. Une autre grande lame de fond est celle qui vise à réintroduire l’esprit et le domaine du sens, la spiritualité, à côté du seul souci de l’avoir matériel. Le désarroi de notre époque engendre heureusement, chez de nombreux hommes et femmes responsables, la recherche du sens et l’action généreuse qui vise à retrouver les racines de vie, dans ce fatras de violences ; et l’espoir est qu’ils parviennent à être des Eveilleurs et que le nombre de ces éveilleurs soit de plus en plus grand pour combattre efficacement les forces aveugles de l’avide et mortifère matérialisme ambiant.

Un changement est donc possible ?

Une nouvelle ère pourra commencer quand un nombre suffisants d’êtres humains prendra part, par ses actions, par son effort de conscience, à la transformation autour de soi. Mais il ne faut évidemment pas croire naïvement qu’on pourra arriver à cette nouvelle ère dans les mêmes conditions d’opulence matérielle. Il faut que chacun de nous éveille sa conscience et son sens de la responsabilité, et soit prêt à restreindre ses appétits matériels, pour trouver autre chose de bien plus grand, de bien plus essentiel, du domaine du sens et de l’esprit, du partage et de la joie d’avoir été invité sur cette terre pétrie de beauté, de sensibilité et d’intelligence.

Lire aussi l’interview de Françoise Gange sur le thème de "Jésus et les femmes".

A lire : Avant les Dieux, la Mère Universelle par Françoise Gange Editions Alphée 19.90 €

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